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Une entreprise exploite toujours la pierre de Vernon

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28 mai

Une entreprise exploite toujours la pierre de Vernon


La petite entreprise ne connaît pas la crise… Du moins, l’activité est assurée pour les prochaines années. Dans la forêt de Vernonnet, nichée devant l’immense précipice de l’ancienne carrière, l’entreprise TERH (Travaux d’entretien et de restauration de monuments historiques) exploite, encore et toujours, la prestigieuse pierre de Vernon. Exploite ? Pas exactement. Débiteurs, tailleurs, appareilleur, maçons… Les artisans sont toujours à l’œuvre. Mais il y a deux ans, l’entreprise a cessé de tirer profit de son dernier lieu d’extraction de la pierre, la champignonnière du XVIe siècle, épuisée. Chemin des Carrières, toutes sont condamnées.

À la recherche d’une carrière

TERH dispose heureusement d’un stock de la précieuse roche. Encombrant, certes, mais qui lui permettra de maintenir encore trois à cinq ans ses chantiers et de vendre encore environ 200 m³ de pierre par an à ses concurrents le long de la Seine, où elle est transportée. La société dispose d’un atout non négligeable : elle est la seule à extraire et commercialiser cette roche unique au monde, impossible à substituer « parce qu’elle est blanche à grains fins et comprend du silex », explique Patrick Debuck. Le PDG a créé TERH en 1994, « par amour des monuments historiques », avec une poignée de collaborateurs de l’ancien premier employeur de l’Eure, Lanctuit, racheté par Bouygues Telecom en 1993. Cinquante salariés y travaillent aujourd’hui, sans compter une dizaine dans la filiale charpente et une autre quinzaine dans les territoires d’outre-mer. Les artisans bichonnent uniquement le patrimoine normand. Cela suffit à remplir le carnet de commandes. L’abbatiale de Fécamp est leur plus gros chantier en cours, quand celui de la cathédrale d’Évreux se poursuit. « C’est le plus beau chantier de l’Eure… Un monument très homogène, bien construit, empreint de finesse dans ses sculptures », décrit le patron, pour qui la cathédrale de Rouen n’a rien à envier avec l’édifice eurois, en pierre de Vernon. Quatre-vingts pour cent des restaurations sont commandées par des personnes publiques, dont 60 % par les communes, et dans une moindre mesure par l’État, donneur d’ordre pour la restauration de la cathédrale ébroïcienne. Plus qu’à la baisse des crédits, l’entreprise fait face à une complexité administrative grandissante, notamment liée aux précautions prises sur les monuments historiques. Cela n’arrête pas Patrick Debuck, qui convoite la restauration de l’église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Reste à savoir si TERH parviendra à trouver un nouveau site d’extraction pour assurer sa pérennité et celle des monuments en pierre de Vernon. « Ce n’est pas évident, nous sommes au bout de la matière, elle n’est pas inépuisable… regrette le patron. La plupart des carrières sont classées en zone Natura 2000. Si nous trouvons un lieu d’extraction, nous devons obtenir des autorisations. Une carrière ne pollue pas mais des espèces sont protégées. » En attendant, l’entreprise vernonnaise, solide comme un roc, a encore de belles années devant elle.

Chantiers

TERH a été récemment choisie pour la restauration de la façade de la mairie de Vernon… érigée en pierre de Chérence (Val-d’Oise) ! L’entreprise se satisfait que les artisans aient réalisé l’opération «en un temps record » : quatre semaines avant qu’elle ne dévoile toute sa splendeur. « C’était principalement du nettoyage, très peu de pierres ont été changées. Il s’agissait de conserver les éclats d’obus », détaille le directeur.
L’entreprise est prête à répondre à l’appel d’offres pour la restauration de la façade ouest de la collégiale, qui en a grand besoin. Le chantier est envisagé par la mairie mais ne sera probablement pas lancé avant l’an prochain. Entre la décision et le lancement des travaux, trois ans devraient s’écouler, du fait des études à mener sur ce monument classé. Mais cette fois, l’édifice sera bien en pierre calcaire de Vernon !

Ces artistes discrets à l’œuvre

Chemin des Carrières, les ouvriers, à mi-chemin entre travail artisanal et artistique, s’affairent. Grâce à une sorte de scie circulaire géante, avec une lame à base de poudre de diamant, seule matière à pouvoir résister au choc, un débiteur coupe les blocs de pierre à la bonne côte. Le tailleur viendra ensuite les travailler, en prenant pour appui les calques et relevés des pierres à restaurer ou à changer. Ces derniers sont dessinés par l’appareilleur, Sébastien Depoix. Perché sur un échafaudage, il dessine les cailloux à changer, scanne les relevés, puis les retravaille à l’informatique pour retrouver les formes manquantes. « Ces panneaux permettent ensuite aux tailleurs de reproduire précisément les formes », explique le trentenaire, dessinateur de formation. Un peu plus loin, des tailleurs, dont une femme et un meilleur apprenti d’Île-de-France, sculptent dans un halo de poussière.

Vieillir les pierres

« Nous avons plus de difficultés à trouver des maçons, chargés de poser les pierres, que des tailleurs, note Patrick Debuck. Les jeunes sont encore intéressés par la connotation artistique du taillage, le contact avec la matière. »
En vingt ans, la profession aurait finalement peu changé, mis à part une attention plus particulière à la « douceur » de la restauration. « Un passant ne doit pas se rendre compte que la pierre a été changée. Nous utilisons des outils manuels pour vieillir les pierres replacées par exemple. L’approche est aujourd’hui plus fine qu’il y a vingt ou trente ans, où une pièce altérée était automatiquement changée. » C’est donc en toute discrétion que s’exerce le savoir-faire de ces artisans. Ce week-end, les journées de sculpture sur pierre de Vernon, à Giverny, offriront un aperçu de ce travail d’artiste de la matière